LE FESTIVAL 100% AFRIQUES s'est déroulé à la Villette du 29 mars au 28 mai et c'était incroyable! Parce que la création n'en finit pas d'élargir ses horizons aux artistes du continent, la deuxième édition du Festival 100 % nous a présenté la scène contemporaine africaine dans toute sa diversité : danse, théâtre, musique, mode, design, exposition, création culinaire...pour deux mois intenses et colorés dont j'ai profité à fond.
Premier temps fort de mon festival avec Les Grandes Personnes, pour une déambulation aux sons du Burkina Faso. Ce collectif d'artistes basé à Aubervilliers a émerveillé petits & grands en animant cinq marionnettes géantes qui se sont mises à danser parmi nous. Et quels personnages! Je me suis amusée à leur donner des noms et à leur inventer une histoire, tellement ils étaient vivants à notre contact.
Je vous présente
*Ali, le petit vieillard que tout le monde adore dans le quartier. C'est l'âme de la communauté : un botaniste hors-pair, spécialiste des plantes médicinales et de la pharmacopée traditionnelle, toujours prêt à rendre service. Il a une mémoire infaillible et une grande sagesse, si bien que tout le monde lui demande conseil quand il y a un souci. Il écoute avec attention et ne juge jamais personne. Sa femme est décédée depuis trois ans et il pense à elle tous les jours.
*Maïssa, la jeune mère célibataire montée à la capitale pour se lancer dans le commerce du wax. Elle encourage les filles du quartier a étudié sérieusement à l'école et à avoir de l'ambition pour construire leur avenir. Elle répond aussi à leur question sur la puberté et la sexualité car le sujet est tabou dans certaines familles. Pourtant, Maïssa est convaincue qu'une femme qui connait son corps peut faire les bons choix pour le respecter, le protéger et devenir mère quand elle l'aura désirée. Sa petite Djéné adore être portée au dos, elle commence tout juste à marcher.
*Kodjo, l'étudiant en architecture qui donne bénévolement des cours de soutien scolaire aux élèves en difficultés. C'est un génie des maths, il adore taper un foot avec ses potes les dimanches et porte souvent de belles chemises en wax que sa maman confectionne sur mesure. Depuis quelques temps, il insiste pour aller acheter lui-même les tissus à la boutique de Maïssa...
*Alassane, l'entrepreneur qui développe l'installation de panneaux solaires afin de garantir l'accès à l'électricité pour tous. Aujourd'hui, il a sorti son plus beau costume car il avait rendez-vous avec des investisseurs importants.
*Gladys, la guadeloupéenne au madras qui a quitté son île pour visiter l'Afrique, terre de ses ancêtres. Elle est arrivée au Burkina Faso depuis un mois et loue une chambre dans la maison commune où vivent Kodjo, sa maman et Ali. Ce dernier lui enseigne des bases de swahili pour la prochaine étape de son voyage. Elle aime aussi s'asseoir dans la cour pour aider les femmes à cuisiner.
Tout ce beau monde danse dans les rues de Ouagadougou car Alassane a réussi à convaincre les investisseurs pour développer son entreprise. La poussière tombe des pieds et la fête dure jusque tard dans la nuit entraînant tout le quartier au rythme des balafons et percussions. Les étoiles brillent dans le ciel autant que dans leurs yeux.
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Deuxième temps fort de mon festival, l'exposition Afriques Capitales m'a embarqué dans la ville de toutes les villes pour questionner la pensée africaine à travers les réalités urbaines et contemporaines qui transforment le continent, les modes de vie et les façons d'être ensemble.
"Si l'on prétend qu'il existe une communauté africaine, une relation intime entre les différents pays d'Afrique, et la diaspora à travers le monde, c'est bien dans la structuration des villes qu'elle est le plus palpable. Se perdre fait partie du jeu : les rumeurs de la circulation, les lieux d'échanges et de rencontres sont partout animés par des voix et des exclamations, donnant à chaque ville sa tonalité propre.
Il n'y a jamais une ville, mais des villes. Comment dans le même espace géographique, cohabitent des réalités contradictoires et tout à la fois complémentaires? Comment les citadins organisent-ils un réseau parallèle de relations et d'interdépendances? Comment redéfinissent-ils la ville à l'intérieur même de ses propres frontières et produisent-ils une cartographie qui répond à d'autres besoins que ceux abordés par les urbanistes? Notre pari a été d'inventer une ville qui n'appartient à personne, mais dans laquelle chacun pourrait trouver des repères qui lui soient personnels. L'essentiel étant de faire surgir une vérité différente dans un monde que le visiteur ne pourra revendiquer totalement.
Nous entendons le contraindre à penser à l'altérité en des termes nouveaux car l'art construit des formes effective de communauté : des communautés entre objets et images, entre images et voix, entre visages et paroles, qui tissent des rapports entre des passés et un présent, entre des espaces lointains et un lieu plus proche".
Simon Njami, commissaire de l'exposition
Dans la Grande Halle de la Villette, une cinquantaine d'artistes africains venus du Nigéria, du Maroc, d'Egypte, de Madagascar, de la République Démocratique du Congo, du Ghana, du Kenya, du Bénin, de Côte d'Ivoire, d'Afrique du Sud, d'Angola, du Malawi, d'Algérie, de Tunisie, du Soudan, du Mali, des Etats-Unis, du Mozambique, du Gabon, d'Ethiopie, du Cameroun, du Sénégal et de France, ont ainsi imaginé et matérialisé cette ville incroyable.
Un voyage enthousiasmant, surprenant et poétique fait de peinture, sculpture, photographie, vidéo, son, numérique et installations, comme une interprétation universelle et intime de l'Afrique urbaine et contemporaine. Je vous partage les oeuvres qui m'ont le plus touchées et marquées...
J'ai pris beaucoup de plaisir à m'attarder dans "Le Salon", un espace d'interaction conçu par Hassan Hajjaj, avec des meubles d'objets récupérés (cagettes de coca-cola, pots de peinture, toiles cirées, nattes tissées, chutes de wax) et des portraits déjantés.
Au programme télé, "Karima, a day in the life of henna girl", un film documentaire réalisé à Marrackech par notre artiste. On suit Karima, mère, épouse, artiste de henné, icône locale et diplômée de "Jamaa Fena" (l'université de la vie de rue). Connu pour traverser Marrakech à vélo ou à moto avec ses voiles, abayas et djellabas volant dans son sillage, Karima est une femme normale qui travaille huit ou dix heures par jour. Une vision complexe des rôles de genre islamique contemporains.
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Toujours dans une évocation de l'islam, "The Minaret", construit par Moataz Nasr dévoile une architecture hybride, faite de bois et de cristal, illuminée de l'intérieur. Cette sculpture inspirée par la philosophie soufiste, représente un monument à l'amour et à la compréhension universelle.
En levant les yeux, "Falling Houses" de Pascale-Martine Tayou constituées d'impressions sur bois, représentent la maison des dogmes, des joies, du répit, des peur, des frustrations, du malheur et du bonheur. Une maison qui ressent les émotions et vibre à l'image des êtres qui l'habite.
Un arrêt à "Africa Untitled" d'Ato Malinda, nous ramène à la Conférence de Berlin en 1885, lorsque les grandes puissances coloniales se sont partagées le continent. De spectateurs à acteurs, nous sommes invités à réarranger puis à renommer l'Afrique, dont les pays et frontières actuels n'existent que depuis 132 ans. Une réflexion profonde sur le colonialisme, le post-colonialisme et la nécessité pour les peuples africains de redéfinir leur continent, afin de transcender ces frontières qui les ont divisées, emprisonnées, blessées et meurtries au sein de nations qui n'étaient pas les leurs.
Dans cette démarche,"Les Points de Résistance" d'Emo de Medeiros, sont une belle source d'inspiration. Cette installation sonore et numérique, illustrée de sept couleurs symboliques, fait résonner de manière aléatoire des combats menés pour la défense des libertés. On peut y saisir au hasard des extraits de discours politiques, de chansons, de poèmes ou d'essais. L'Afrique a besoin d'homme et de femmes profondément libres, engagés et instruits pour faire sa Révolution...
Alexis Peskine nous dévoile justement le portrait de "Niinen", comme autant de clous sur des lattes de bois vieillies à la terre et au café. Les clous symbolisent l'énergie mais aussi une certaine fragilité, avec le besoin de se fixer, de trouver une accroche, d'incarner quelque chose dans un tout, de trouver son identité et de prendre sa place dans la société.
Il nous montre aussi "The Raft of Medusa", un court-métrage métaphorique et poétique sur la crise migratoire en Europe, directement inspirée du Radeau de la Méduse de Théodore Géricault.
On y voit tout d'abord des femmes et des hommes noirs, entre la vie et la mort, sur un radeau improvisé. Puis à Paris, un prince arpentant les rues avec une couronne de tours Eiffels dorés et un boubou taillés dans des cabas en plastiques à carreaux, figure sublimée du "bana-bana", vendeur à la sauvette. Nous voilà ensuite à Dakar, dans l'atelier d'un jeune peintre dont les oeuvres se retrouvent entre les mains du prince des "bana-bana" qui parcourt les rues parisiennes au son d'une musique méditative. On aperçoit notamment la devanture du Musée National de l'Immigration sur laquelle sont figés les anciens combattants sénégalais... Et soudain, cette glorieuse femme noire, qui nourrit un bébé blond en lui donnant des bouchées de thieboudienne. De son téton, coule un filet d'or pour l'enfant dont elle est la nourrice. Un dernier regard sur le radeau en pleine mer avec des corps pétrifiés et des visages fermés.
De cette oeuvre tragique émanent le fantastique et la violence, la faiblesse et la force, la fatalité et l'espoir, au même titre que les histoires de migrants qui traversent déserts, terres hostiles, mers et océans. Les pays d'où ils viennent contribuent à la richesse de l'Europe depuis des siècles, mais pourtant elle continue de les rejeter...
En parallèle, l'installation photographique "Ouakam Fractals" de Sammy Baloji nous dévoile les transformations urbaines d'un village de Lebous situé dans un quartier de Dakar. Les Lébous sont des pêcheurs pratiquant une religion animiste traditionnelle, où arbres, morceaux de murs et même décharge sont des entités habitées par des esprits. Les espaces publics spécifiques du vieux village - un labyrinthe de chemins délimités par des habitations en bois peintes en bleu, par le gris des parpaings des nouvelles constructions - sont le théâtre des débats collectifs et médiations au changement.
La visite se poursuit et je découvre avec curiosité Pume Bylex, qui a choisit de reproduire un monde à la mesure de sa pensée dans l'installation "Pourquoi Bylex? Pume". Un débordement créatif et inventif qui renoue avec l'époque de la Renaissance, permettant à l'artiste d'être à la fois philosophe, ingénieur, mathématicien et agronome.
Le "Labyrinth" de Youssef Limoud m'attire instinctivement par son architecture de l'impossible entre ordre et chaos, structure et ruines, fragilité du corps humain face à violence de cette réalité imposante dans ses aspects métaphoriques et littéraux. On se perd dans la destruction environnante qui ne cesse jamais de menacer notre existence, sachant qu'elle-même constitue également une sorte de labyrinthe.
Dans ces moments, de profondes solitudes, de désespoir et d'introspection, il est toujours bon de revenir à nos racines, l'essence de l'énergie qui nous anime.
"Je suis africain" de François-Xavier Gbré confronte cette vérité, à la souveraineté de pays cédant à la prédominance des autres dans les sphères de pouvoir. Dispositif lumineux et enseigne à tout vendre, la signalétique au-dessus de la calligraphie chinoise en volume relève de l'expérience du "made in China" omniprésent, qui laisse aussi ses traces mémorielles et prospectives sur les sociétés africaines, entraînant des changements structurels loin des valeurs dites traditionnelles.
"Continuum" de Maurice Pefura joue avec les volumes et les espaces et fait émerger un lieu transparent de combinaisons contradictoires entre architecture et poésie pour explorer la complexité de notre être avec toutes ses impasses.
William Kentridge, nous invite ensuite à une marche en réponse à l'esclavage, la colonisation et l'apartheid. "More Sweetly Play The Dance", inspirée du cinéma d'animation et projetée sur huit écrans, est une danse en procession pour éloigner la mort, un cortège composé de ceux qui ont été dépourvus d'une vie pleinement réalisée à cause de la guerre ou de la dictature.
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Des millions de personnes quittent leur terre natale pour ces raisons et Abdulrazaq Awosefo fait justement allusion au phénomène migratoire dans "A Thousand Men Can Not Build A City" ; au fait de séjourner dans une succession de temps, de lieux, de villes, de pays ou de continents sans jamais se sentir chez soi.
Nabil Boutros quant à lui, exprime dans "Un Rêve", la capacité qu'il y a en chacun à refuser de regarder la réalité lorsqu'elle est trop dure et cruelle à affronter. La symbolique du nuage opère alors : il est celui qui obscurcit le ciel, nous cachant du soleil qu'on ne peut regarder en face, de cette réalité qu'on ne saurait voir et accepter.
Pour finir, je m'approche des mystérieuses "Négociations amoureuses acte V" de Joël Andrianomearisoa. Les miroirs s'élèvent comme des immeubles dans la nuit et semblent narguer la vanité narcissique qui se cachent derrière les relations affectives et le rapport à l'autre.
Dans le cadre du Mois de la photo du Grand Paris, l'exposition Afriques Capitales se prolonge en accès libre dans les jardins du parc de la Villette jusqu'au 3 septembre. J'ai profité de cette grande respiration pour faire le lien avec tout ce que je venais de vivre à l'intérieur.
Troisième et dernier temps fort de mon festival, un passage obligé au pop-up store du Marché Noir, pour jeter un oeil aux sapes ramenées d'Afrique par le styliste et chineur togolais Amah Ayivi. Une sélection pointue de vêtements, chaussures, accessoires vintages et chics qui n'attendaient que les gens stylés!
Voilà tout pour ce Festival 100% Afriques! Il y avait pleins d'autres événements organisés (théâtre, concerts, danse etc.) mais impossible de tout faire lol.
Enjoy